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La consommation, élément identitaire du XXIème siècle

novembre 2008

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Professeur en Marketing et Comportement du consommateur à l'Université Paris Dauphine et vice-président Communication à l'Association Française du Marketing (AFM), Denis Darpy commente les résultats de l'étude PagesJaunes/CRÉDOC.

L'étude PagesJaunes/CRÉDOC souligne notamment la hausse des dépenses dans des secteurs perçus comme peu nécessaires - vacances et loisirs, habillement, déco et ameublement, soins de beauté... Comment analysez-vous ce phénomène ?

C'est logique. Dans une société riche où la plupart des gens sont logés, nourris et soignés, l'aspiration porte sur d'autres besoins. Et le besoin, aujourd'hui, c'est d'être reconnu. La consommation est devenue le vecteur social de la quête d'identité. La plupart des marques sont conscientes de ce qu'elles portent, en termes de réponse identitaire et de socialisation. Voyez, par exemple, le slogan récent d'une marque de téléphonie qui suggère, avec elle, d'aller "plus loin, ensemble". Avant, la religion, les sciences ou l'Etat remplissaient cet office.

Cette tendance est-elle encore valable en temps de crise ?
Cette crise est une crise de confiance dans les repères les plus anciens comme la solidité des banques et de certains Etats. L'individu devra encore plus se construire indépendamment des grands systèmes mais en liaison avec ses proches et son groupe. L'affirmation et la réalisation de soi seront des objectifs individuels durables.

Cette étude met en lumière la "réalisation de soi", quelle en est votre définition ?

C'est la recherche d'harmonie par rapport à sa propre image. Chaque individu a un "moi" idéal et un "moi" réel. La réalisation de soi est l'effort qui permet de combler l'écart entre ces deux "moi". Cet effort se traduit par l'expression d'un désir, parfois un achat. L'étude PagesJaunes/CRÉDOC a le mérite de se pencher sur cette tendance rarement étudiée en quantifiant les choses.

Toute marque peut-elle promettre cette "réalisation de soi" ?

Pourquoi pas ? Il faut juste qu'un des attributs de son produit ou service soit l'exclusivité. Le consommateur se sent valorisé, reconnu, il en parle à son groupe ou son réseau. Les jeunes et les seniors sont particulièrement concernés par cette quête de soi parce qu'ils ont du temps. Une identité se construit plus facilement dans la sérénité, ce qui présuppose du temps pour identifier, poser et assouvir ses désirs.

Pensez-vous à une marque qui "investit" sur la réalisation de soi ?

The Body Shop (groupe L'Oréal). Sa fondatrice a construit une marque à partir de valeurs fortes, comme le respect de l'environnement ou de la vie animale. Ce sont des valeurs de réalisation de soi. En achetant ces produits, on épaule ces valeurs, on se les attribue. Cela m'amène à une double réflexion : toute marque qui veut donner de la valeur à son consommateur doit, elle-même, défendre des valeurs. Et ces valeurs doivent être dans son ADN de longue date.

Iriez-vous jusqu'à dire que les marques ont une responsabilité quant au "moral" d'une population ?

Oui, même si tous les acteurs de la société sont impliqués. La consommation est devenue un élément identitaire et beaucoup de marques en sont conscientes, voire en jouent ! Si toutes les marques utilisaient cet argument, que se passerait-il ? Le thème de l'épanouissement s'éroderait. La marque qui croirait réellement concourir à la réalisation de soi devrait redoubler d'efforts pour se distinguer. Cela signifierait renouveler constamment "l'expérience consommateur", en changeant sans cesse de gammes, d'émotion, de présentation. Il ne suffit pas de trouver un territoire d'expression. Il faut aussi l'entretenir. Rien ne vaut l'innovation. Cependant le rôle de repère que les marques joueront pendant la crise, leur confère une responsabilité importante.