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Les espaces de vente face aux nouvelles attentes

Directeur conseil de l'agence de design Extrême Paris, Frédéric Rossi-Liegibel analyse la vigueur d'une tendance en devenir : le "retour au bonheur". Soulignant l'importance de la vitesse dans l'appréhension d'un point de vente, il suggère créativité et audace aux marques pour se faire remarquer d'un consommateur "sursaturé" d'informations et de messages publicitaires.

novembre 2007

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Vous travaillez, dites-vous, sur "l'ADN des marques", qu'est-ce concrètement ?

Frédéric Rossi-Liegibel (FRL) : Je m'attache à définir ou prendre en compte l'identité génétique de chaque marque et à la décliner ensuite sur un site Internet, un packaging ou un point de vente, selon les goûts et les attentes des consommateurs. L'air du temps a son importance, même si toutes les marques ne doivent pas y céder ou alors le faire avec modération. Il faut être un peu sociologue pour développer une stratégie de marque.

Quelle aspiration ou tendance identifiez-vous en ce moment ?

FRL : C'est fort et cela durera un bon moment : il s'agit du retour au bonheur. Depuis 2000, la moralisation, l'éthique et la transparence dominaient - les consommateurs voulaient, par exemple, voir l'intérieur des ordinateurs. Le blanc et le vert étaient les couleurs de référence. Le retour au bonheur se traduit par un goût pour les paillettes, les dorures, le strass et la couleur rose qui renvoie à la chair et au festif. On se veut et on se pense beau : l'hédonisme est revendiqué. Les téléphones sont en or, les téléviseurs en miroir, les canapés en strass... Il ne s'agit pas de se mettre en avant, d'en "jeter", mais plus authentiquement, d'affirmer son plaisir d'être et d'exister.

Toutes les marques doivent-elles surfer sur cette tendance pour leurs produits ou leur style de communication ?

FRL : Non, il faut un agrément par rapport à l'identité. Mais cela peut se décliner sur des produits de sa gamme ou des opérations ponctuelles. Heineken, par exemple, a commercialisé des bouteilles dessinées par le styliste Ora-ïto qui a également travaillé sur l'espace de vente Toyota des Champs-Elysées et sur un événement autour de l'or pour un modèle qui était baptisé Auris. Motorola a aussi lancé un mobile avec la griffe Dolce&Gabbana qui frappe par le luxe, et non pas le clinquant, qu'il dégage.

Tout est bon pour se faire remarquer ?

FRL : Oui, car le consommateur est sursaturé de messages d'information ou publicitaires. Les blogs, le street marketing, les MMS, les SMS, l'affichage interactif... les marques ont récupéré tous ces canaux de communication, sans en inventer beaucoup, et face à elles, le récepteur - le consommateur - devient très sollicité. Pour sortir du lot, l'inventivité est plus que jamais requise : soit les marques trouvent un message impactant, soit elles prennent le risque d'inventer un nouveau média qui permet au client de vivre une expérience détonante.

L'espace urbain déborde d'informations. Comment un point de vente peut-il se différencier ?

FRL : Il doit d'abord interpeller autant le consommateur qui passe en voiture que celui qui marche ou circule en vélo. Le facteur Vitesse est à prendre en compte pour l'aménagement extérieur. Cela veut notamment dire que tout détail a de l'importance : par exemple, le piéton a un peu de temps, voire tout son temps, s'il s'arrête devant la vitrine, pour regarder le point de vente. A ce repérage vont succéder l'entrée dans le magasin, puis la qualité de la vente. Ce sont autant de séquences qu'il faut encore décomposer. L'esprit ne peut répondre qu'à un nombre limité de sollicitations. Aussi le parcours du client doit-il être réfléchi pour être rapide et agréable.

Votre réflexion est-elle adaptée à l'ergonomie d'un site Internet ?

FRL : On n'attend pas d'un site qu'il offre la même expérience de vie qu'un magasin. Ce ne peut être une copie de la réalité, même si des principes de base - lisibilité, convivialité et identité - sont communs. Que le site soit dédié à une marque, éphémère pour un lancement de produit ou bien institutionnel, il doit proposer de l'information qui côtoie distinctement l'information publicitaire ou commerciale. Cette distinction doit être claire, sinon le contrat de consultation avec l'internaute est bafoué. Il ne veut pas perdre du temps et il sait de quel côté situer ce qu'on lui donne à lire. Le consommateur n'est pas publiphobe : il accepte les bannières et liens sponsorisés. Il sait qu'ils sont la contrepartie de la gratuité d'accès. Ce qu'il rejette, c'est le mélange de genres.

Votre site marchand idéal ?

FRL : J'insiste déjà sur une chose : gare aux sites "en étoile" qui proposent au client de réserver un séjour ou une voiture de location alors qu'il souhaite acheter un billet d'avion. C'est le détourner : il ne clique pas sur une adresse pour oublier ou perdre de vue sa demande initiale. Par ailleurs, quels produits présenter ? Je désapprouve les sites qui offrent une sélection de produits. Le consommateur cherche avant tout à préserver son libre choix. Mais un site marchand qui étale toutes ses références, comme si l'internaute était dans un rayon d'hypermarché, n'est pas plus recommandable.

La solution ?

FRL : Elle réside en partie dans la préprogrammation de l'offre, en fonction de l'historique d'achat ou du chemin emprunté pour arriver sur le site. Il faut aussi trouver de nouveaux modèles, observer davantage, réfléchir, tester et faire des recherches. Je rêve, par exemple, d'un site qui analyse les mouvements de la rétine et permette de se diriger du regard.

8 secondes pour faire son choix !

Pour Frédéric Rossi-Liegibel, le consommateur ne peut recevoir qu'un nombre limité de sollicitations. C'est ainsi que son choix, par exemple, d'un soda en rayon, se passera en 8 secondes. "Le consommateur prend peu de temps pour sélectionner. C'est pourquoi les messages olfactifs, sensoriels, rédactionnels qu'il reçoit, doivent être directs et simples". Conséquence ? La rédaction de l'étiquette doit être mûrement réfléchie : "Quand le consommateur lit, seules deux lignes maximum l'intéressent : la marque "Schweppes" et en dessous "Saveur citronnée". Deux lignes et il se saisit de la bouteille ou son esprit s'échappe vers un autre choix." Cette capacité à recevoir peu de messages impacte aussi plus largement l'aménagement intérieur des points de vente.